Pour son premier long métrage en langue anglaise, Joachim Trier s’est offert un beau casting où se croisent Isabelle Huppert, Jesse Eisenberg et Gabriel Byrne, qui a évoqué “Back Home” avec nous lors de sa présentation cannoise en mai.
“J’ai eu la chance de travailler avec Emmanuelle Devos [Le Temps de l’aventure, ndlr]. Maintenant Isabelle Huppert. Je veux que la prochaine soit Jeanne Moreau”, nous dit Gabriel Byrne en riant au sujet des actrices françaises avec lesquelles il a tourné. Et c’est encore le cas dans Back Home, sous la direction de Joachim Trier, cinéaste norvégient grâce auquel il s’est retrouvé en Compétition au dernier Festival de Cannes.
==> “Une réflexion sur l’identité et la mémoire” selon le réalisateur
AlloCiné : Joachim Trier nous a expliqué qu’il voulait travailler avec vous depuis de nombreuses années. Comment avez-vous découvert son cinéma ?
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Gabriel Byrne : Je me souviens avoir vu Nouvelle donne et Oslo, 31 août, et pensé que ce type était très fort. Puis j’ai oublié ses films mais lui a vu quelque chose que j’avais fait et il m’a appelé pour que nous nous rencontrions à Dublin, afin qu’il me parle de ce projet que j’ai accepté tout de suite. Quand un réalisateur aussi bon que lui veut travailler avec vous, la question ne se pose même pas.
Qu’avez-vous particulièrement aimé dans ce projet ?
Il me rappelait les films que Bergman faisait : très calmes, simplement présentés mais avec des thèmes complexes. Et plus vous creusez sous la surface, plus cela devient profond. C’est aussi un film sur la famille et sommes tous les membres d’une famille. Chacun a une façon unique de voir la sienne, mais il y a un langage partagé d’expériences, qu’il s’agisse de tragédie, de deuil, du fait d’essayer d’être un père, un héros, quelqu’un de bon ou d’avancer aveuglément à travers des choses que vous ne comprenez pas en cherchant à faire le bien. Back Home est un film sur la famille et l’amour, et même si aucune famille n’est parfaite, l’amour garantit tout.
Tout le monde recherche le chef-d’oeuvre à Cannes
La structure du film est très complexe et morcelée. Le scénario était-il facile à suivre ?
Oui, c’était très simple. Cette structure complexe faite de flashbacks, d’images figées et de rêves est surtout née au montage. Sur le papier, il y avait juste “EXTERIEUR – JOUR”. C’était très simple.
Dans le film, un dialogue explique que le sens d’une image peut changer si son cadre est modifié. Peut-on le voir comme la clé du scénario et de sa structure, pour comprendre l’intention de Joachim Trier ?
Je pense qu’il n’y a qu’un seul test pour juger un film, c’est de demander : “Êtes-vous ému par ce film ?” Si c’est le cas, vous allez vous en souvenir, et ça n’a rien à voir avec le fait d’être impressionné. On peut être impressionné par sa technique, ou ses acteurs parfois. Mais pour qu’un film vous émeuve profondément, il faut qu’il entre en vous et descende. Mais c’est extrêmement difficile à prédire, car certaines personnes vont voir un film et lui résister, pour quelque raison que ce soit. Ceux qui réussiront à entrer dedans et partager son point de vue pourront être émus, mais il n’est pas question de sensation. Il n’y a pas d’explosion de voiture ou de récit déroulé de façon prévisible, mais des thèmes universels et profondément humains.
Le Festival de Cannes peut-il donc nuire à un film dans lequel il faut prendre le temps de rentrer, alors que tout ici repose sur l’immédiateté ?
Oui, il y a une énorme pression sur les réalisateurs. Tout le monde ici recherche le chef-d’œuvre instantané mais les films ne fonctionnent pas ainsi. Comment voulez-vous comparer une chanson à une autre ? Une peinture à une autre ? Comme voulez-vous comparer Mad Max et Back Home ? Il n’y a pas de comparaison possible. Le lieu où le film est montré peut effectivement affecter la réaction du public, mais j’espère que celui-ci va transcender le festival.
Comment avez-vous préparé votre rôle et travaillé avec les autres acteurs pour créer cette famille que l’on voit à l’écran ?
Nous avons appris à nous connaître en tant qu’individus, et Joachim était tout le temps présent pour superviser donc nous pouvions nous appyer sur son jugement. Et je pense que nous avons vraiment l’air d’être une famille dans le film.
Le langage du cinéma est unique et peu importe d’où vous venez
Joachim Trier est-il le genre de réalisateur qui vous laisse beaucoup de libertés sur le plateau, ou fait-il en sorte que vous vous en teniez à ce qui est écrit ?
Les frères Coen sont très précis et ils veulent que nous nous en tenions au scénario. Mais Joachim nous a permis d’improviser autant que nous le voulions : nous pouvions jouer la scène telle qu’elle était écrite et improviser la suite, ou improviser par rapport à ce qui était écrit. Et au final il y a des choses, dans le film, que je ne me souviens pas avoir faites.
Joachim étant norvégien, avez-vous noté des différences de sensibilité entre les réalisateurs européens comme lui, et les Américains ?
Beaucoup de réalisateurs américains veulent être des metteurs en scène européens, et beaucoup de metteurs en scènes européens veulent être des réalisateurs américains. En réalité, le langage du cinéma est unique et peu importe d’où vous venez, car tout tourne autour de la question que nous évoquions tout à l’heure : “Êtes-vous ému par ce film ?” C’est quelque chose dont vous vous souvenez et auquel vous pensez, et la seule donnée qui compte au final.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 19 mai 2015