Présenté aujourd’hui en Compétition à Cannes, “Ma Loute” de Bruno Dumont transforme Fabrice Luchini en extravagant bourgeois de 1910. A notre micro, le comédien nous parle de ce personnage, très différent de ceux qu’il a l’habitude d’explorer…
En salles et en Compétition aujourd’hui, Ma Loute est le film évènement de cette journée cannoise. Devant la caméra de Bruno Dumont, toute une flopée comédiens non professionels, comme c’est souvent le cas dans les films du cinéaste, mais aussi trois bourgeois grandiloquents dont les traits ne nous sont pas inconnus : une Juliette Binoche totalement déjantée, une Valeria Bruni Tedeschi guindée et émotive… et surtout un Fabrice Luchini comme on ne l’avait encore jamais vu.
Dans le costume à carreaux parfois incomfortable du bourgeois André Van Peteghem, le comédien a choisi de suivre Bruno Dumont dans son projet fou et de s’éloigner de ses rôles de prédilection pour explorer un personnage pour le moins singulier. Nous avons pu le rencontrer et revenir avec lui sur cette expérience particulière…
C’est la première fois que vous êtes en Compétition à Cannes…
Globalement, oui, je crois que c’est la première fois. J’ai dû venir avec Alain Delon il y a 25 piges dans Le Retour de Casanova avec Elsa Lunghini et Wadeck Stanczak, mais c’est la première fois que je suis en Compétition, enfin… que je tourne dans un film mis en scène par Bruno Dumont, qui lui est complètement habitué, à la fois à être dans la Compétition et à la fois à être récompensé, parce que Bruno Dumont est le chéri des gens qui ont une exigence dans le cinéma.
Si tu as peur du ridicule, de l’outrance, d’aller explorer d’autres champs que les champs habituels, faut pas tourner chez Bruno Dumont.
Pour incarner votre personnage dans “Ma Loute”, vous avez dû vous transformer physiquement et vocalement. C’est quelque chose que vous faites rarement…
D’habitude, je ne suis pas du tout friand de tout ce qui est la composition. Je pense qu’un acteur travaille sur ce qu’il a en magasin, certaines notes qu’il travaille, qu’il répète, qu’il propose. Autant je pense qu’on peut jouer dans une même soirée Feydaux, Labiche, Racine et Corneille… On peut se déplacer sur le répertoire, on peut jouer une partition comique et caricaturale et après retrouver du génie de Racine dans la tragédie. Mais moi, au niveau de la personnalité profonde, quand il (Bruno Dumont) a commencé à me parler de composition, je déteste ça. J’ai voulu ne pas le faire, il a eu une technique pour m’avoir, je me suis mis dans ses mains et puis il m’a amené à un autre endroit. Je vous dit pas que c’était confortable, mais les gens ont l’air de dire que c’est très bien. Or donc voilà, j’ai réussi à me laisser diriger, j’ai obéi avec un élément fondamental : ne pas avoir peur du ridicule. Si t’as peur du ridicule, si t’as peur de l’outrance, si t’as peur d’aller explorer d’autres champs que les champs habituels, faut pas tourner chez Bruno Dumont.
Les personnages eux-mêmes sont constamment en situation d’inconfort. Le costume, la démarche d’André Van Peteghem en témoignent notamment. Bruno Dumont vous a-t-il dirigé dans ce sens ?
Tout est de lui. La marche, il me l’a demandée, la manière de faire des gestes, c’est lui qui me l’a demandée. C’est lui qui a dirigé, c’est le chef d’orchestre absolu et là-dedans, dans toutes ces contraintes, le costume, les métamorphoses, le ridicule, le pathétique, le snob couillon et tout ça… A l’intérieur, le miracle, c’est qu’on peut retrouver le jeu de ton travail, de ta petite science de la situation. Quand je coupe le poulet et toutes ces choses-là, là l’acteur a le droit de s’exprimer à l’intérieur d’une incroyable contrainte qui est l’univers de Bruno Dumont.
L’amour de Dumont c’est un amour de rigueur, c’est un amour d’exigence.
Il dit lui-même qu’il cherche à révéler quelque chose chez ses acteurs en les contrariant…
En tout cas, pour moi, c’était pas confortable. Maintenant, si les gens disent que c’est bien je suis ravi. Mais moi, sur les 6 semaines, j’en ai eu 4 qui étaient quand même un peu curieuses. Maintenant, s’il faut passer par là pour trouver d’autres sons, d’autres identités, d’autres couleurs, alors on a bien fait. Et je lui sais gré d’avoir été remarquable, parce qu’à la fois dur apparemment, mais avec une immense tendresse au fond. Et un immense amour, sauf que c’est pas du tout un amour compassionnel, dégoulinant, sentimentaliste. L’amour de Dumont c’est un amour de rigueur, c’est un amour d’exigence. Et ce qui l’intéresse c’est d’articuler tous les éléments, les bourgeois, les pauvres… Il ne juge personne, tout le monde est minable et monstrueux, tout le monde est grandiose et médiocre, tout le monde est divin et diabolique. Voilà ce qui fait son cinéma unique.
La comédie est un art extrêmement noble et supérieur.
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La comédie est un genre plutôt très rare en Compétition à Cannes…
Bruno Dumont vient de dire à la conférence de presse immense qu’on a eu que la comédie est un art supérieur. C’est pas anecdotique, c’est plus dur de faire Ma Loute que de faire L’Humanité ou Camille Claudel, parce que c’est un art qui demande une immense exigence selon lui. Donc la comédie est un art extrêmement noble et supérieur.
Comment résumeriez-vous votre personnage en quelques mots ?
Il est complètement au bout du rouleau, il est pathétique, il est immensément humain. Mais il est trop humain, c’est-à-dire qu’il est humain parce qu’il est perdu, et il est la caricature de sa classe. Et avec tout le burlesque qu’on lui a mis sur la tête, tout le grotesque, derrière l’outrance, il arrive quand même à être un être humain, pathétique. Comme tout le monde est pathétique dans le cinéma de Dumont. Les pauvres, les riches, les flics, tout le monde…
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Ma Loute Bande-annonce VF